Sur le pont du Galion, l’on y danse, l’on y danse. Sur le pont du Galion, l’on y dans tous en rond… Je pourrais continuer à parodier m’inspirant de cette comptine si le sujet n’était pas sérieux. Dans le cas d’espèce, il l’est, à plus d’un titre. Au cours de ces dernières années, les élus départementaux et régionaux de la Guadeloupe ont convoqué le congrès successivement comme on enfile des perles. Pour un sautoir ? Cette entreprise délibérative réitérée 15 fois (quelquefois pour des sujets en dehors du rôle du congrès) aurait pu être féconde pour fonder une nouvelle collectivité, sauf que de ces réunions en conclave, même pas une fumerolle, une volute ne se sont échappées. 15 coups de sabre dans l’eau turquoise de la mer des Caraïbes. Que sera ce XVIème congrès devant se réunir le 20 décembre 2019 ? Un coup pour rien, un coup de sabre dans l’eau, un coup de maître ou un coup de génie ?
Je pourrais emprunter l’image de la toupie à fouet ou du derviche tourneur pour évoquer cette ronde des congrès à laquelle nous avons assisté au cours de ces dernières années. Mais là encore, ce serait se moquer des élus, les couvrir de brocards et de quolibets, eux, connus pour faire montre de diligence pour la création d’une structure unique de l’eau alors qu’elle était prévue dans l’accord du 4 mars 2009 qui mettait un terme à l’action publique, éruptive, disruptive du LKP. De l’eau a coulé sous les ponts de la Gabarre pendant 10 ans avant que celle-ci ne soit enfin portée sur les fonts baptismaux. Josette Borel-Lincertin s’enorgueillit que la collectivité qu’elle préside est celle qui a le plus fait pour l’eau. Force est de constater que, nonobstant les plans d’urgence pour l’eau, les travaux réalisés, nous sommes très loin du compte. Parce que la carence dans la distribution, les tours d’eau à donner le tournis procure tellement de peines, de tracas, d’exaspérantes frustrations comme autant de douleurs exquises à la population qui souffre en silence. Ces mêmes élus dont il est de notoriété publique qu’ils et elles savent avec brio faire montre d’indécision, de ne pas tenir leur parole à l’instar du délai de 18 mois demandé au Gouvernement pour sortir de leur cabèche (absolument pas rèd kon dendé) un projet. Eux qui nous avait habitués à ce rituel où ils se précipitaient et à la fin pondre des résolutions qui se sont empilées sur une étagère poussiéreuse comme des affaires classées sans suite.
Est-ce que la ronde des congrès leur procurait une sorte d’ivresse à laquelle ils auraient pris goût comme s’il s’agissait de se divertir avec un colifichet, s’épancher dans un groupe de paroles ? Un rituel cathartique. Est-ce la frilosité, l’impéritie légendaire de quelques-uns qui les a muselé jusqu’à présent au point de les entraver dans la signature d’un acte d’audace politique ? Il faut dire que ceux qui ont présidé aux instances de délibération sont passés maîtres dans l’art de l’esquive, balayant d’un revers de main toute proposition d’évolution statutaire novatrice et prometteuse, repoussant sans même ne serait-ce qu’oser examiner objectivement les motifs, les arguments. Préférant se cacher derrière le paravent des renoncements, renvoyant sans cesse aux calendes grecques un éventuel un changement institutionnel et/ou statutaire au motif que ce ne serait pas la priorité des Guadeloupéens et débitant à tire-larigot toutes sortes de sornettes pour ne pas prendre de décision. Toutes ces réunions n’ont pas permis de creuser les questions de fond qui concernent les rapports de la Guadeloupe avec la France et l’Europe, les causes et conséquences de notre dépendance aux importations dont les chiffres explosent, de quels outils nous pouvons disposer pour mettre en oeuvre des politiques économiques alternatives en faveur de l’emploi local, quelles dispositions fiscales pour dégager des recettes nouvelles afin d’assumer les dépenses liées à la rénovation des réseaux de distribution d’eau potable dont la vétusté cause tant de malheurs aux abonnés. Autant de sujets non exhaustifs qui devraient pourtant se retrouver au coeur des débats.
Depuis le dernier congrès en date (15 mars 2013), aucun hémicycle n’avait accueilli le murmure, les éclats de voix de discussions, les joutes oratoires, aucune parole, aucun discours enflammé n’a fait vibrer les murs du palais du Conseil départemental ou de l’hôtel de Petit-Paris. Ce fut chose faite les 26 et 27 juin prochains. Et bientôt, le 20 décembre prochain. Dans le cadre de celui-ci nous sommes conviés à “Bay grenn sèl a zot !” Les thématiques sont étonnement limitées et de nombreuses questions, moult sujets sont écartés…
Dans son allocution, à l’occasion de la 2ème Réunion Plénière de l’exercice 2019, la présidente du Conseil départemental, Mme Josette Borel-Lincertin annonça les thèmes retenus : “Il n’y a plus de schéma unique. Il y a des options que nous devons étudier et qui doivent d’abord servir nos objectifs de développement et les ambitions que nous nourrissons pour notre population. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’ouvrir la réflexion pour aussitôt la conclure dès ce congrès du mois de juin sur tous les sujets. Il s’agit bien d’initier un cycle de travaux sur les questions d’avenir du territoire, qui ne sont pas toutes institutionnelles ou statutaires, loin de là. La pertinence des actuels blocs de compétences de nos collectivités… L’opportunité de demander de nouvelles compétences à l’Etat… La pertinence des différentes strates de notre organisation territoriale actuelle… La recherche d’un meilleur équilibre de notre territoire afin de mieux lutter contre les inégalités… La question récurrente des freins à notre développement économique…”
“S’agit-il “d’initier un cycle de travaux sur les questions d’avenir du territoire, qui ne sont pas toutes institutionnelles ou statutaires” ou de les poursuivre ? Car, les élus ne partent pas du néant, ne méconnaissent pas les rouages, les carcans qui nous entravent. Pour mémoire, de nombreux documents ont déjà été publiés. A titre d’exemple : la Contribution au débat du XIème congrès des élus départementaux et régionaux de 2011, intitulé, Projet guadeloupéen de société, pour une société de projets, les résolutions des congrès du 27 décembre 2012, les schémas multiples (SAR, SDTAN…), montrent que les sujets, les thématiques, les blocs de compétences évoqués, les projets structurants, le rapport de pilotage, les résolutions du congrès du 15 mars 2013, balayent un spectre large. Sauf qu’à chaque fois les décisions qui incombent aux élus sont renvoyées aux calendes grecques ou que ces derniers sont restés au milieu du gué alors que les rives à atteindre étaient à quelques encablures. Les élus n’arriveront pas dans l’hémicycle comme s’ils découvraient avec des yeux ébahis leur nudité, auréolés de la pureté de leur virginité politique, ni ne mettront les pieds en terra incognita. En 2009, ce même Conseil général publiait un document intitulé : « La parole aux Guadeloupéens » dans lequel les élus dressaient des constats qui restent d’actualité. Un autre document qui qui a marqué les années 90 fut la Déclaration de Basse-Terre de 1999 dans lequel les mêmes analyses de l’époque sont d’une brûlante actualité. Les élus connaissent les problématiques qu’ils gèrent depuis des lustres. Plus tôt, il y eut le Rapport de la Commission ad hoc sur l’évolution statutaire de la Guadeloupe du Conseil général de la Guadeloupe présenté par Jean-Claude Malo, publié en 1998.
Ainsi que le rappelait le Rapport n° 27 (2002-2003) de M. René GARREC, fait au nom de la commission des lois du Sénat, le Congrès de Guadeloupe réuni le 18 juin 2001, dans la résolution finale du 17 décembre 2001, le congrès s’est prononcé pour la création d’une « nouvelle collectivité de Guadeloupe, dans le cadre de la République française et de l’Union européenne » remplaçant le département et la région et dotée d’une assemblée unique, un conseil exécutif dissocié de l’assemblée devant représenter l’exécutif. Elle préconise également l’attribution de « compétences élargies, un pouvoir local effectif, renforcé notamment par la capacité de légiférer dans ses domaines de compétences sous le contrôle du Conseil constitutionnel et instaurant de nouveaux rapports avec l’Union européenne ». Par ailleurs, le congrès a appelé à une adaptation du code des marchés publics, à la mise en place d’un code des investissements, tout en réclamant de nouvelles compétences propres s’agissant de la fiscalité et d’un régime douanier adapté, de l’aménagement du territoire (notamment l’environnement), du tourisme, du patrimoine foncier et agricole, de la culture, de la politique de l’eau et de la coopération régionale.” Près de 20 ans plus tard, ces compétences réclamées naguère sont d’actualité.
Concernant « l’opportunité de demander de nouvelles compétences à l’Etat », il s’agit d’une impérieuse nécessité. Les compétences nécessaires pour prendre en charge les affaires publiques guadeloupéennes sont de toute évidence pour nous permettre de disposer de recettes nouvelles. Un exemple concret pour illustrer l’un des avantages de l’évolution statutaire : nous pourrons être bénéficiaire de la TVA qui s’élevait à plus de 2 milliards 600 millions d’euros entre 2007 et 2017. Presque le triple des 874 millions des fonds structurels auxquels la Guadeloupe et les îles du Nord étions éligibles pour 7 ans dans le cadre des PO 2007/2013. Le dernier rapport de l’IEDOM indique que “Les fonds programmés en Guadeloupe sur la période 2007-2013 ont représenté 7 % des investissements publics et privés et 1,5 % du PIB régional total.”
Ce qui paraissait hier scellé, verrouillé, tabou, ressemble désormais une mine à ciel ouvert. “Autonomie fiscale”, “autonomie économique”, “statut fiscal” “statut économique”, “forme d’autonomie” sont entrés dans le champ lexical de quelques hommes politiques qui ont opéré leur mue langagière, en font des vocalises. Pourvu que ces déclarations soient marquées du sceau de la sincérité.
Le statu quo a donc commencé à entonner son chant du cygne. Il ne reste plus qu’à tout ce monde à accorder ses ka (instrument de musique guadeloupéenne) pour faire sortir de la terre guadeloupéenne un projet qui porterait l’estampille de la créativité, de l’audace, du courage politique. Nous sommes riches de potentialités multiples. L’archipel de la Guadeloupe, c’est de l’or en barres ! Sa ki vayan lévé lanmen !1) Ce serait le magnum opus de l’archipel de la Guadeloupe.
1) Que les téméraires lèvent la main